Ecrit par Salah Benyoussef, Tunis
La prédominance des céréales fourragères
En Tunisie, 310 mille ha de terres arables et 5.5 millions d’ha de parcours/forêts sont destinés annuellement pour produire du fourrage pour un troupeau national composé de 400 milles bovins, 4 millions d’ovins, 750 mille caprins et 80 milles camelins. Les terres de parcours et les forêts connaissent un état de dégradation élevé suite à des années de surpâturage et d’utilisation abusive non contrôlée par les diverses communautés. Les changements climatiques aggravent cette situation. Les espèces fourragères les plus utilisées en Tunisie sont les céréales fourragères, notamment l’avoine, l’orge et le triticale (totalisant 280 mille ha), les légumineuses fourragères d’hiver dont le bersim, le sulla, associations céréales-légumineuses fourragères (20 mille ha) puis viennent les fourrages d’été (sorgho, maïs et luzerne) sur 10 mille ha. Les céréales fourragères couvrent en effet, plus de 80% des emblavures fourragères annuelles.
Par ailleurs, l’état de dégradation avancé des parcours et des forêts, la domination du secteur de la céréaliculture par rapport aux autres secteurs de l’agriculture, la disparition de la transhumance sud/nord, pratique courante de jadis, et les changements climatiques ont mené inéluctablement vers une désintégration Cultures/Elevage. Le foin d’avoine constitue désormais la majeure partie des ressources alimentaires du troupeau national. En effet, il s’agit d’un produit facile à produire et à transporter, lucratif et assez productif dans les conditions pluviales du nord de la dorsale. Cela a donné lieu à une filière fourrage détenue par des commerçants de balles de foin peu regardants sur la qualité. Ces balles sont produites par des producteurs non éleveurs au Nord, eux aussi peu regardants sur la qualité. Elles sont ensuite transportées vers le Centre et le Sud pour des éleveurs cherchant à combler le déficit alimentaire.
Une entrave au développement du secteur de production animale
Le déficit fourrager couplé à la faible qualité nutritionnelle des régimes alimentaires communément utilisés en alimentation animale entrave le développement du secteur de production animale dans les pays semi-arides tels que la Tunisie (Ben Salem et Smith, 2008). En Tunisie, la domination du foin d’avoine comme principale ressource fourragère pour le troupeau national (presque 2/3 des emblavures fourragères annuelles totales), même dans les régions à fort potentiel fourrager, couplée à la faible maîtrise de la technique de production d’un foin de qualité, ont fait que les cultures fourragères ne couvrent aujourd’hui que 13% des besoins nutritionnels du cheptel. Les protéines sont particulièrement déficientes pour les ovins tout comme l’énergie pour les bovins.
Les sources majeures de protéines/énergie disponibles sont importées (ex. tourteau de soja, grain de maïs) et leurs coûts obéissent à la loi du marché international. Pour combler ce déficit alimentaire, les éleveurs se sont tournés vers l’aliment concentré (importé en grande partie), le son de blé (sujet à spéculation), les parcours naturels et forêts (majoritairement dégradés et à très faible potentiel fourrager) et les résidus de récolte (eux aussi de piètre qualité). Tout cela exacerbe d’avantage le déficit et détériore le revenu de l’éleveur.
Au-delà de ces facteurs économiques, des facteurs plus techniques sont mis en avant pour expliquer le déficit fourrager. Le machinisme disponible en Tunisie apparaît souvent comme une limite pour le développement de la production de fourrages. L’absence de faucheuse-conditionneuse (permettant de réduire le temps de séchage des fourrages destinés à la fenaison), ou encore les andaineuses-dés-andaineuses (utiles en cas de pluie) ou les ensileuses-conditionneuses munies de système pick-up permettant d’ensiler les fourrages aqueux après un temps de séchage partiel à même le sol telles les légumineuses, concernerait l’immense majorité des exploitations. S’ajoutent des pertes de production de foin d’avoine très élevées sous l’effet des pluies survenant entre la fauche et la mise en balles.
Une méconnaissance des espèces et des variétés
La déficience de la filière des semences fourragères et une méconnaissance des espèces et des variétés par les sociétés semencières, comme par les agriculteurs, sont aussi évoquées comme des entraves au développement d’un système fourrager efficient qui satisfait les besoins du cheptel national. La recherche en matière de production fourragère ayant démarré depuis le début du siècle à l’INAT comme à l’INRAT a contribué principalement au développement et à l’inscription de dizaines de variétés de différentes espèces fourragères et pastorales. Elle a également contribué à l’inventaire, la conservation et la caractérisation des germoplasmes fourragers et pastoraux locaux et introduits. Enfin, elle a permis de valoriser des fourrages locaux dans l’alimentation des ruminants.
Pistes de solutions
A moyen et à long terme, l’atteinte de l’autosuffisance en produits animaux est un enjeu économique majeur pour la Tunisie. Cela doit commencer entre autres par la mise en place de solutions au déficit alimentaire du cheptel national, afin de pouvoir réaliser des performances de production avant même de penser à augmenter la taille du troupeau. Jouer sur la productivité plutôt que sur le nombre d’unités animales ou sur le subventionnement des aliments, semble être un enjeu plus réaliste et faisable. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de :
- Miser sur l’augmentation des superficies en fourrages en allant de 300 milles actuellement à 500 mille ha.
- Diversifier les cultures fourragères en incluant les légumineuses fourragères productives et adaptées.
- Favoriser l’intégration cultures/élevage à travers les leviers de subvention, du financement et les rotations des cultures.
- Substituer majoritairement ou partiellement le foin d’avoine par celui de l’association céréales-légumineuses fourragères.
- Rationaliser l’exploitation des parcours et des forêts en fonction de leur productivité et amélioration des parcours à travers l’implantation des arbustes fourragers et renforcer le plan national de plantation de cactus.
- Valoriser les résultats de la recherche en matière de fourrages : 30 variétés inscrites, des centaines de technologies développées en matière de techniques culturales, de production fourragère, de semences et modes d’utilisation pour diverses espèces.
- Valoriser les protéagineuses et les céréales locales pour la fabrication des aliments de bétail (triticale, orge, pois protéagineux, vesce de Narbonne, colza…).
- Mise en œuvre de la stratégie nationale de production de semences fourragères et pastorales.
- Intensifier les recherches sur le machinisme agricole spécifique à la production des fourrages, susceptible d’améliorer la qualité des foins des ensilages produits.
- Favoriser la constitution de stocks fourragers de qualité stratégiques ou annuels plutôt que l’exploitation directe des fourrages en verdure.
Salah Benyoussef, Maître Assistant, Production Fourragère et Agronomie, Institut National de la Recherche Agronomique de Tunisie, Laboratoire des Productions Animales et Fourragères
